Dans ses réquisitions, l’avocat général a demandé la confirmation de la peine de onze ans de prison prononcée à l’encontre de Gilbert Chikli. Porté pâle, l’avocat de ce dernier doit finalement plaider ce mardi après-midi.

Mais où est passé l’avocat de Gilbert Chikli ? Le quatrième et dernier jour du procès du célèbre escroc débute dans quelques secondes devant la cour d’appel de Paris et Me Stéphane Sebag n’a toujours pas fait son apparition dans la  salle d’audience. Il doit pourtant plaider en fin de journée. Entre les bancs, la rumeur bruisse déjà : il aurait plaqué son ingérable client. « Il a 39 °C de fièvre, il est cloué au lit », explique sa collaboratrice au président de la cour d’appel, François Reygrobellet. S’il est remis sur pied, l’avocat devrait finalement plaider ce mardi après-midi.

Son absence lui aura permis d’éviter d’entendre l’avocat général Serge Roques requérir les mêmes peines de prison que celles infligées en première instance à l’encontre de Gilbert Chikli, décrit comme un « escroc compulsif » dont « les numéros histrioniques » ne l’ont, semble-t-il, guère convaincu, et d’Anthony Lasarevitsch : soit respectivement des peines de onze et sept ans de prison.

Dans son réquisitoire, il a estimé qu’en dépit de leurs dénégations les deux hommes étaient bien les responsables d’une vaste escroquerie commise entre 2015 et 2017 en usurpant l’identité de Jean-Yves Le Drian – alors ministre de la Défense –, pour subtiliser plus d’une cinquantaine de millions d’euros à de riches hommes d’affaires. Le tout en utilisant un argumentaire « cynique et obscène » : le paiement d’une rançon afin de libérer des otages détenus par le groupe Etat islamique. Pas une « farce », comme certains le prétendent, mais une « manipulation sordide », selon Serge Roques.

Si d’autres équipes d’aigrefins ont pu imiter le scénario de cette escroquerie, selon le magistrat, cela n’exonère en rien la responsabilité de Gilbert Chikli et Anthony Lasarevitsch dans les faits jugés par la cour d’appel, notamment deux entourloupes aux dépens de l’Aga Khan, le chef spirituel de la communauté des ismaéliens, et un riche homme d’affaires turc.

« Trahi par sa voix »

Durant ce procès en appel, Serge Roques note toutefois « un revirement majeur et spectaculaire » des deux hommes concernant une partie des faits : à savoir la reconnaissance d’actes préparatoires à une escroquerie similaire usurpant cette fois-ci l’identité d’Albert II à l’aide d’un masque. Des conversations retrouvées dans leurs téléphones laissaient penser qu’ils mettaient en place cette arnaque au moment de leur arrestation en Ukraine, en août 2017. « Il leur a fallu trois ans pour reconnaître ces faits. Ce fut donc une maïeutique particulièrement longue et douloureuse », ironise Serge Roques.

Selon l’avocat général, la reconnaissance de ces actes préparatoires renforce et valide leurs responsabilités sur des faits antérieurs. Il évoque les multiples investigations de toutes sortes qui, selon lui, ont permis de réunir des éléments objectifs « clairs » qui forment « un faisceau d’indices parfaitement convaincants » de leur culpabilité : ressemblance de la voix du « faux Jean-Yves Le Drian » avec celle de Chikli, mode opératoire initié par ce dernier, présence des deux hommes en Israël au moment des faits, pays d’où sont passés les coups de fil et envoyés des e-mails…

Pour Me François Artuphel, l’avocat de l’homme d’affaires turc soulagé de près de 50 millions d’euros par un faux Jean- Yves Le Drian, pas de doute : « Les faits jugés devant la cour  d’appel ont été commis par une seule et même bande. » Il en veut pour preuve les e-mails ou les courriers envoyés aux victimes reprenant « la même structure, les mêmes formules, les mêmes prétextes ». Quant à Gilbert Chikli, il serait, selon l’avocat, « trahi par sa voix, comme on peut être trahi par un ADN » : « Certes, nous ne sommes pas des experts. Mais faut-il être un expert pour se forger un avis ? Les diffusions des enregistrements à l’audience ont permis de se forger une conviction. Et puis il y a eu les quatre rapports d’experts durant l’instruction. Ils sont tous unanimes pour reconnaître sa voix », considère l’avocat.

« Le Victor Lustig d’aujourd’hui »

Si « en haut » de cette organisation, il y a Gilbert Chikli,
« l’homme dont la voix ensorcelle », selon Me Bruno Quentin, l’avocat de l’Aga Khan, « en bas, il y a la mise en place d’une logistique extrêmement structurée ».

Dans sa plaidoirie, Me Bilal El Hamel, l’avocat de l’agent judiciaire de l’Etat, a pour sa part évoqué la fameuse vidéo des deux hommes tournée dans leur cellule ukrainienne : « A nos sorties, à nos millions ! », trinquent-ils à la vodka sur les images. « N’est-ce pas là une forme d’aveu involontaire de participation aux autres escroqueries, celles qui ont
réussi ? », s’interroge l’avocat.

« Gilbert Chikli est le Victor Lustig d’aujourd’hui, celui qui avait réussi à vendre deux fois la tour Eiffel à des ferrailleurs, avance pour sa part Me Delphine Meillet, l’avocate de Jean-Yves Le Drian. Les grands escrocs sont des joueurs compulsifs. Ils n’arrêtent jamais ».

Dans les pièces de la procédure, l’avocate a trouvé un élément jamais repéré jusqu’à lors, même par les enquêteurs. Il atteste, selon elle, des contacts anciens entre Anthony  Lasarevitsch et Sebastian Zawadski. Condamné à cinq ans de prison en première instance et actuellement en fuite, ce Franco-Polonais a créé des sociétés et ouvert des comptes bancaires en Pologne sur lesquels l’argent de l’arnaque au détriment de l’Aga Khan a circulé en mars 2016. Le comparse de Chikli nie pourtant tout lien avec le blanchisseur avant 2017. Il conteste ainsi l’avoir rencontré en 2016 à Barcelone, peu de temps avant les faits concernant l’Aga Khan. Mais, lors d’une reprise de contact avec Sebastian Zawadski à l’été 2017, Anthony Lasarevitsch se rappelle à lui sous le pseudo « Barcelona », comme l’a fait remarquer Me Meillet.

« Colmatage judiciaire »

Selon David-Olivier Kaminski, l’un des défenseurs d’Anthony Lasarevitsch, son client s’est « fait arrêter avec la mauvaise personne. Et, de là, il y a eu un colmatage judiciaire assez inouï ». Autrement dit : on a cherché à le faire rentrer dans un dossier « coûte que coûte » : « Monsieur l’avocat général, vous parlez de faisceaux d’indices : ce sont les termes qui valent pour une mise en examen. Pas une condamnation. »

Et la robe noire de critiquer les investigations menées dans ce
dossier : « On a fait d’éléments testimoniaux, des vérités.
Mais est-ce qu’on rapporte le moindre élément matériel à GoPro son encontre ? Nous n’avons que des éléments ténus,
indirects et non vérifiés. On nous dit : “Parce que vous
vouliez le faire en Ukraine en 2017, c’est forcément vous
en 2016.” » Et l’avocat, plaidant la relaxe, de rappeler d’autres OVH escroqueries au « faux Le Drian » commises alors que les
deux hommes étaient derrière les barreaux.

Autre avocate d’Anthony Lasarevitsch, Carole-Olivia Montenot a également remis en cause les investigations. Dans sa plaidoirie, elle a regretté qu’à partir des déclarations de Sebastian Zawadski des recherches sur d’autres suspects n’aient pas été effectuées. « Ils n’ont pas été arrêtés en même temps que Gilbert Chikli. Ça manquait sûrement de
piquant », a-t-elle ironisé. Quant aux faits ukrainiens, ils relèvent d’un « certain amateurisme » selon elle : « Les  échanges sur le masque d’Albert II retrouvés dans son téléphone sont consternants. Ils démontrent qu’il n’y connaît vraiment rien en la matière. »

L’audience se poursuit ce mardi après-midi avec la plaidoirie décalée de Stéphane Sebag. A moins d’un nouveau rebondissement ?