En matière de prescription civile, le législateur de 2008 avait fait le choix de diminuer considérablement le délai de prescription, le portant de 30 à 5 ans. Le législateur de 2017 a décidé de faire le chemin inverse concernant les délais de prescription pénale.
La notion de « prescription » est initialement assise dans le Code d’instruction criminelle de 1808 voulu par Napoléon. Elle s’entend du mode général d’extinction des droits de poursuivre, de sanctionner et d’exécuter une peine. Juridiquement, cet outil vient, à partir d’un certain délai, éteindre l’action publique et ôte le droit du Ministère Public de poursuivre des faits prohibés par la loi pénale. La partie civile, plus communément appelée victime ou plaignante, n’est pas non plus épargnée puisque la prescription acquise va venir également éteindre l’action civile.
La philosophie générale du droit de la prescription pénale exige que soit sanctionné, via des mécanismes juridiques de prescription, toute ignorance de la commission d’une infraction, toute négligence ou inactivité des autorités de poursuites et des parties poursuivantes.
Cette volonté n’est qu’en réalité l’un des corollaires des principes généraux du droit pénal contemporain. Entre autres, la prescription des infractions et des peines permet d’encercler le principe de légalité criminelle, dans le sens où elle vient figer ce principe dans une période préétablie, précise et déterminée. Elle vient limiter les droits de poursuite et ainsi assurer le respect des droits de la défense et du droit au procès équitable de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Toutefois, la mise en œuvre d’un tel instrument ne demeure pas sans conséquence. La prescription, aperçue comme le cavalier blanc de la criminalité, est devenue au fur-et-à mesure de son application et de son développement une source de capharnaüm et d’insécurité juridique.
Ces qualificatifs, employés par les praticiens, font référence à l’élaboration prétorienne du droit de la prescription, très fortement décriée. Une élaboration prétorienne si conséquente qu’un droit spécial de la prescription pénale est apparu en matière d’infractions occultes et dissimulées et plus généralement en matière de délinquance astucieuse et financière.
La pratique judiciaire a ponctuellement dénaturé le principe même de la prescription afin de répondre à des besoins pratiques. Le régime légal exige que le point de départ du délai de prescription court au jour de la commission de l’infraction. Faut-il encore avoir connaissance de ladite infraction. Cette méconnaissance de l’infraction, que l’on a voulu sanctionner originellement par l’instauration des mécanismes de prescription, a été contournée par le juge pénal dans certaines circonstances. L’autorité de jugement a alors considéré que pour l’ensemble des infractions occultes – infractions qui par définition ne peuvent être mises en lumière que plus tard – le délai de prescription devait alors courir au jour de la découverte de l’infraction ou au jour où elle aurait pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.
Plus simplement, la prescription débute au moment où l’infraction est apparue ou aurait dû apparaître aux yeux des victimes et/ou de l’autorité de poursuite. Cette modification a pour rançon de rendre les délits occultes quasi-imprescriptibles, stérilisant considérablement le principe même de la prescription. Cela entraînant une instabilité dans les mécanismes de prescription que la doctrine pénale qualifie de « serpent de mer » due à son caractère frivole et imprévisible.
Cette discordance entre volonté de poursuivre et principe même du droit à l’oubli a fait du bruit dans les hémicycles si bien que le 27 février 2017, l’Assemblée Nationale adopte en première lecture la loi n° 15-86. 019 portant réforme de la prescription en matière pénale. Le législateur a courageusement mis les pieds dans le plat en allant plus loin que le juge pénal par l’allongement des délais de prescription. Le délai de prescription en matière contraventionnelle demeure identique – à savoir 1 an-, les délits voient leur délai de prescription doublé, passant de 3 à 6 ans, et enfin les crimes connaissent également un allongement de leur délai de 10 à 20 années.
Cette réforme, qualifiée de « consensuelle » par l’ensemble des députés, apparait néanmoins « dangereuse » selon la majorité des Confrères. Le législateur, dans sa démarche, veut répondre à une exigence de modernisation et de cohérence du régime de prescription. Une cohérence, notamment en matière de criminalité financière et de délinquance astucieuse, matérialisée par l’apparition de l’article 9-1 du Code pénal. Cet article consacre le principe jurisprudentiel du report du délai de prescription en ce qu’il prévoit que concernant les infractions occultes, le délai de prescription est reporté au jour de la découverte de l’infraction et non plus au jour de commission de l’infraction.
Le législateur, conscient des mécontentements à venir, est venu établir par l’article 9-1 du Code pénal pris en son troisième alinéa, un garde-fou en limitant ces différents reports à une limite d’imprescriptibilité de 12 ans en matière délictuelle et de 30 ans en matière criminelle. Schématiquement, passé ces délais butoirs, le report n’est plus de vigueur et la prescription est acquise. Ce subterfuge ne satisfait cependant pas la pratique professionnelle dans la mesure où les différents actes d’enquête ont un effet suspensif de prescription et, qu’en conséquence, l’ensemble des mécanismes mis en oeuvre n’auront qu’une unique résultante, celle d’une imprescriptibilité quasi-certaine. Cette réforme fait l’objet d’une horde de critiques prises dans leur versant péjoratif. Les voix du désaccord font état d’un ensemble d’incohérences dont les prévenus et accusés sont les premières victimes. Un allongement des délais de prescription et un report légal du point de départ des délais en matière d’infractions dissimulées auront pour effet inévitable de rendre les enquêtes et le travail des services d’enquête plus complexes et plus fragiles.
Les enquêtes perdurant dans le temps, on reproche un dépérissement des preuves matérielles, ponctué d’un dépérissement des déclarations/témoignages par une altération des souvenirs, dont seul le temps en est la cause. Ainsi, cela se heurte à l’essence même du procès inquisitoire fondé sur la recherche de la vérité objective, puisque dans de tels cas, la vérité ne peut être qu’altérée ou dénaturée.
Cette problématique est à mettre en parallèle avec celle du rallongement des procédures et en particulier des procédures d’enquête et d’instruction aboutissant à des affaires s’étalant sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années, en inadéquation totale avec une politique judiciaire actuelle de désengorgement des juridictions. Une réforme de la prescription pénale en complète disparité avec l’exigence de bonne administration de la justice.
Cette réforme est révélatrice de la difficulté de faire coïncider et fonctionner des mécanismes établis à des époques différentes, obéissant à des courants de pensée différents et voulus selon des exigences ponctuelles. Ainsi, la prescription, voulue originairement afin de permettre une extinction des poursuites, a été profondément remaniée. Un remaniement qui, pour certains, s’apparente à une dénaturation du sens même de prescription. L’extinction s’est transformée en préservation et accroissement des droits de poursuites.
Et si la réforme du 27 février 2017, portant sur le rallongement des délais de prescription en matière répressive, n’avait pour unique effet que de rendre la prescription imprescriptible ?